Musicien amateur vs musicien pro

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C’est quoi la différence entre musicien amateur et musicien pro ? Sujet complexe et aux ramifications multiples. Les guillemets sont de rigueur pour le traiter sans caricaturer. Car certains termes portent en eux-même une multiplicité de sens, possiblement sujets à controverse et qu’il faut détailler. Allons-y donc pour les guillemets.

Une idée souvent rencontrée : le pro serait « bon » musicien, et l’amateur serait … pas forcément « mauvais », mais peut être « moins bon ». Moi qui suis pro, cela m’irait bien de voir les choses comme cela, mais hélas dans mon cas cela ne correspond pas à la réalité. Il existe de par le monde plein de musiciens amateurs virtuoses, inspirés, habités… à tel point qu’on se demande… pourquoi ils ne sont pas pro, justement. Inversement, il est facile de croiser des pro dont le « niveau » n’est pas forcément élevé. Je me place dans cette catégorie.

Alors ?

Revenons sur le sens du mot « bon », lorsqu’il s’applique à un.e musicien.ne. Il n’y a rien d’évident à associer ces deux termes, pourtant souvent employés ensemble. Dans mes propres représentations, être un « bon musicien » peut signifier (entre autre) : être capable de jouer très rapidement et très proprement des notes, savoir mettre de l’intensité émotionnelle dans ce que l’on joue, entendre et manipuler des harmonies complexes, savoir choisir ce que l’on joue en fonction de ce que l’on est… mais aussi : savoir être à l’écoute d’autres musiciens, avoir un relationnel fluide qui met en confiance et valorise ses collègues, avoir une sensibilité qui permet de comprendre ce qu’a besoin d’entendre un auditoire… et puis aussi : savoir jouer doucement, savoir ne pas jouer du tout, considérer sa musique et sa pratique comme des éléments artistiques parmi d’autres, qui peuvent s’enrichir d’autres pratiques… et pourquoi pas : être capable d’inventer des mélodies, être libéré dans son jeu au point d’improviser naturellement…

Il y a donc mille manières d’être « bon ». Chaque musicien en coche un plus ou moins grand nombre, à des degrés divers, brossant ainsi des profils très différents, qui ne peuvent absolument pas être comparés. Certaines sont accessibles à des musicien.ne.s débutant.e.s. D’autres nécessitent des années de travail et parfois de souffrance. Toutes sont-elles susceptibles de produire de l’émotion et du bonheur chez l’auditeur ou l’artiste lui-même ? Y a t-il un lien évident entre un niveau de performance et un niveau de bonheur ou d’émotion ? Je me souviens ces cinq jeunes musiciens grecs passionnés de musique des Andes. Arrivés chez moi pour se procurer un charango, cet instrument à cordes au son aigu, ils l’avaient testé en jouant quelques morceaux. Ils étaient tous quasiment débutants et je m’attendais à entendre une vague soupe. Mais leur présence, leur implication, leur bonheur de jouer ensemble dégageaient une musicalité qui m’avait stupéfié, et plongé dans une émotion indescriptible, bien au delà de tout ce que j’avais jamais ressenti dans un quelconque concert de stars. A eux cinq, ils produisaient quelque chose qui dépassait complètement leurs niveaux techniques.

Il y a tellement de possibilités d’être « bon » ! Un « mauvais » musicien serait quelqu’un qui ne présenterait aucune qualité. Cela existe, ça, vous pensez ? Moi pas.

Certaines de ces qualités sont-elles indispensables pour être pro ? Lesquelles ?

Autre piste possible de réflexion : à la différence d’un pro, un musicien amateur joue de la musique parce qu’il « aime » ça, l’étymologie du mot en témoigne. Cela paraît simple à comprendre, non ? Aimer jouer de la musique… cela nécessite-t-il vraiment d’être expliqué ? Peut-être bien. Dans le domaine artistique comme gastronomique ou affectif, il y a beaucoup de raisons et de manières d’aimer. En musique, c’est pareil. Celle qui vient sans doute en premier à l’esprit, c’est l’émotion artistique que cela procure. Sentir naître une harmonie entre plusieurs instruments, quelque chose qui nous dépasse… Jouer permet d’exprimer des choses profondes, indicibles. Mais on peut aussi aimer jouer de la musique parce que cela fait du bien : cela peut apaiser, redonner le moral, donner de l’énergie… Se sentir progresser peut également donner du plaisir. Jouer peut permettre de se retrouver avec soi-même, d’avoir un moment totalement à soi… ou au contraire s’immerger dans un groupe pour faire ensemble quelque chose de constructif, de positif. Il y a aussi beaucoup de plaisirs périphériques à la musique elle-même : boire des coups avant, pendant ou après une répé, un concert… se dépayser en jouant dans d’autres lieux, se dépasser en jouant devant des gens, connus ou inconnus, appréciés ou non… Jouer devant un auditoire flatte l’égo, certains en ont besoin, jouer devant un auditoire peut permettre de séduire (et plus si affinité)…

Bref, il y a une infinité de raisons d’aimer jouer de la musique. Ce que l’on peut dire du musicien « amateur », c’est que le jour où il ne se fait plus plaisir à le faire, c’est à dire qu’il ne coche pas au moins une raison… il cesse irrémédiablement et définitivement de jouer.

Et le professionnel, il n’aime pas ça alors ? Il ne se fait pas plaisir en jouant ? Si, bien sûr. Enfin, du moins dans la plupart des cas, et il faut parfois nuancer. Mais le professionnel a une raison supplémentaire de jouer de la musique : il essaie de gagner sa vie avec. C’est son métier. On pourrait presque définir un musicien professionnel comme quelqu’un qui paie des charges sociales quand il joue de la musique. C’est là encore un caricatural, certains musiciens gagnent leur vie en jouant dans la rue, ils ne paient pas de charges sociales et pourtant ils vivent de leur art. Mais on n’en est pas très loin je pense.

Entre amateur et professionnel, il y a donc (d’après moi) essentiellement une différence de statut juridique, administratif et fiscal. Il n’y a pas forcément de différence de « niveau ». Celles et ceux qui prétendent le contraire seront probablement des pros qui tiennent à préserver leur pré carré.

Par contre, le professionnel, qui a besoin de jouer pour vivre, dispose de certains moyens dont ne dispose pas l’amateur pour se consacrer à la pratique musicale. En premier lieu, il a plus de temps disponible pour cela. Et c’est là, à mon avis que se joue la différence. Ce temps, nous l’utilisons pour monter des projets, des répertoires, des groupes, pour réfléchir, parfois écrire de la musique, répéter, travailler la technique instrumentale, faire de la promo… certains amateurs font également tout ça, parfois très bien, mais la plupart n’en ont pas le temps, ou pas l’envie. En second lieu, le professionnel dispose (parfois) de moyens financiers spécifiques pour s’équiper, monter ses projets, etc… quoique certains amateurs passionnés y consacrent parfois des fortunes !

Cette question de l’argent et des moyens n’est pas anodine. Elle est souvent source d’incompréhensions et de conflits entre amateurs et pros. Certains pros râlent de voir certains amateurs être embauchés à trop bon marché pour donner des concerts, sous prétexte que cela casse le marché et porte du tort à leurs activités. C’est indéniable. Je vis régulièrement cette situation ou un premier contact avec un programmateur tourne court car celui-ci trouve moins cher ailleurs – souvent en piochant dans l’offre amateur.

Mais j’ai été amateur avant d’être pro, et je sais ce que je dois à cette période de pratique intensive, qui m’a permis d’acquérir l’expérience pour un jour en faire mon métier, et je trouve honnête et légitime de passer le relais. A nous, les pros, de rechercher nos créneaux, de créer nos univers, qui ne ressembleront pas à deux des autres et qui nous permettrons de continuer à jouer, au milieu d’autres pros et d’amateurs, pour le plus grand bien de la musique et de la société, qui a bien besoin de nous tous.

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